ALERTE à la défense des intérêts
Une évaluation nationale des infrastructures permettrait d’encourager la construction durable
Face aux risques climatiques croissants, l’industrie de la construction a besoin de meilleures données, technologies, outils et normes pour s’attaquer aux infrastructures vieillissantes du Canada.
par Mary Van Buren
Présidente de l’ACC
La reprise économique post-COVID et l’accélération de l’action contre le changement climatique ont placé l’investissement vert au premier plan de l’agenda politique au Canada et dans le monde. On oublie trop souvent, dans les stratégies de relance écologique proposées, de mobiliser efficacement et de maximiser le rôle que peut jouer le secteur de la construction.
Le secteur de la construction contribue à l’économie à hauteur de 141 milliards de dollars par an et possède un potentiel inexploité pour lutter contre le changement climatique, comme l’illustre un document de recherche publié par l’Association canadienne de la construction (ACC). Force, résilience, durabilité : Recommandations du secteur canadien de la construction sur l’adaptation aux changements climatiques examine l’effet potentiel du secteur de la construction sur le changement climatique, y compris son rôle dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et dans la fortification des infrastructures existantes et nouvelles contre les dommages causés par des événements liés au climat comme les inondations, les tempêtes de verglas, les pannes de courant et les chaleurs extrêmes. Il s’agit d’un appel à l’action pour le gouvernement et les principaux intervenants sur le besoin crucial d’intégrer dès maintenant la durabilité dans les projets d’infrastructure.
Les pratiques actuelles en matière de marchés publics, telles que les approches à court terme et à faible coût en matière d’investissement dans les infrastructures, ne sont pas durables ni bénéfiques pour l’avenir de notre économie et de notre climat. Un changement de paradigme est nécessaire pour parvenir à des modèles d’investissement à long terme qui valorisent la résilience et favorisent de meilleures pratiques.
La résistance à ce changement vient du fait que construire avec la résilience peut coûter jusqu’à 10 % de plus. Pourtant, les études indiquent que les avantages de l’investissement dans l’adaptation l’emportent sur les coûts dans un rapport de 6 à 1. Si aucun changement n’est apporté aux pratiques existantes, on estime que les défaillances des infrastructures liées au changement climatique pourraient coûter au Canada 300 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. La modeste augmentation des coûts à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui est dérisoire par rapport à celle à laquelle nous serons confrontés si nous ne sommes pas suffisamment préparés pour l’avenir.
Le Canada semble être à la croisée des chemins. Il y a un déficit budgétaire national de plus de 500 milliards de dollars pour les exercices 2020 et 2021, et il est également nécessaire de lutter contre les changements climatiques en atteignant les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le secteur de la construction est touché par ces deux phénomènes, mais il peut faire partie de la solution de plusieurs façons, plutôt que de n’en être qu’un témoin passif.
Alors, que faut-il faire?
Une prochaine étape bienvenue est l’engagement du gouvernement fédéral à mener une évaluation nationale des infrastructures afin d’identifier les besoins et les priorités de notre pays, et à planifier un avenir à émissions nettes nulles d’ici 2050. L’évaluation est également destinée à établir un lien entre les investissements gouvernementaux et les résultats politiques souhaités et à être largement utilisée dans la planification nationale de la reprise post-pandémie.
L’évaluation est l’occasion de fournir une vision nationale de la résilience des infrastructures, qui devrait mener à des politiques et des approches favorisant l’amélioration des données, des technologies, des outils et des normes pour le secteur de la construction.
Les risques liés au climat, tels que les événements extrêmes, ont rendu tous les niveaux de gouvernement économiquement vulnérables. L’importante quantité d’infrastructures vieillissantes du Canada illustre notre besoin d’actifs nouveaux et mis à jour. Selon le Bulletin de l’infrastructure canadienne pour 2016, la valeur de remplacement estimée des actifs existants jugés en mauvais ou très mauvais état est de 141 milliards de dollars. Pourtant, plus de 75 pour cent des coûts, dommages ou perturbations qui pourraient résulter du changement climatique pourraient être évités sur une période de 20 ans.
Les gouvernements ne sont pas les seuls à avoir des déficits d’adaptation au climat et à devoir payer pour les éviter. Les promoteurs d’actifs sont également concernés, car le retour sur investissement de la construction d’infrastructures durables capables de résister aux événements liés au climat représenterait des avantages importants, notamment des économies de coûts liées à la prévention des dommages, à la réduction des coûts d’exploitation et à la diminution de la charge financière liée à l’entretien des bâtiments au fil du temps. La tendance à investir dans les projets aux coûts les plus bas constitue un obstacle majeur pour surmonter les difficultés de financement et d’investissement auxquelles le secteur de la construction est confronté. Cette situation est souvent soutenue par les sociétés d’investissement immobilier et les développeurs d’actifs, y compris les gouvernements, qui continuent à valoriser le retour sur investissement à court terme et les faibles coûts, au lieu de donner la priorité à la résilience. Toutefois, cette pratique peut s’avérer contre-productive si elle restreint les investissements dans des projets à long terme plus coûteux mais à fort potentiel.
Par exemple, les appels d’offres pour les projets de construction, que ce soit dans le domaine commercial et des bureaux ou dans celui des eaux usées et de la construction de routes, ont depuis longtemps tendance à choisir les soumissionnaires retenus sur la base du coût le plus bas et à négliger la valeur de la résilience à long terme. Le secteur de la construction est donc confronté à un obstacle majeur au déploiement de matériaux plus durables.
L’une des recommandations fondamentales du document de recherche de l’ACC est que le Canada a besoin de politiques et d’approches qui aident à rendre les nouveaux processus moins risqués, qui poussent à l’adoption de meilleures pratiques et qui paient pour l’utilisation de matériaux plus durables.
Les gouvernements doivent d’abord être prêts à montrer la voie en changeant les attitudes à l’égard des marchés publics et des investissements d’infrastructure à long terme, afin que l’offre la plus basse ne soit pas le modèle sur lequel les projets sont attribués.
L’évaluation des infrastructures par le gouvernement fédéral sera importante pour susciter des changements de politique positifs. Elle peut faciliter le développement et le déploiement d’innovations durables conformes aux objectifs nationaux en matière d’infrastructures, malgré leurs coûts plus élevés. L’évaluation pourrait également profiter à l’industrie en assurant le développement continu de la norme de l’Association canadienne de normalisation, dont la publication est prévue pour l’été 2021, pour aider à identifier les investissements durables, ainsi qu’en améliorant l’accessibilité des données au sein de l’industrie, comme la modélisation climatique. Tout cela soutiendrait un modèle d’investissement à long terme qui valorise la résilience, et stimulerait les efforts de durabilité dans l’ensemble du secteur.
Le gouvernement canadien a donné quelques indications sur un changement durable dans le secteur de la construction. Les deux plans du gouvernement fédéral, le Plan sur le climat de décembre 2020 et le Plan Investir dans le Canada, s’engagent à apporter des changements respectueux du climat aux infrastructures, notamment en veillant à ce que les matériaux de construction soient peu polluants et en comblant le manque d’infrastructures.
Toutefois, il ne suffit pas de prendre des engagements. Nous avons également besoin d’une mise en œuvre efficace des engagements, ce qui nécessitera une collaboration entre de nombreux secteurs pour favoriser une véritable transformation de l’industrie. Force, résilience, durabilité exige que le secteur de la construction prenne l’initiative, donne son point de vue et invite le gouvernement à s’associer à nous pour planifier judicieusement l’avenir.
Le secteur canadien de la construction est prêt à contribuer à la relance écologique de notre pays et à faire ce qu’il faut pour renforcer la résilience et construire de manière plus durable. Nous nous engageons à continuer à travailler avec tous les paliers de gouvernement afin que le Canada construise pour l’avenir.